Jewish Public Library

Lev ha Aryeh
(Venise : Giacomo Sarzino, 1612)

À propos du livre

Publié à l’origine en 1612, Lev ha Aryeh de Léon de Modène (le titre « Cœur de lion » est un jeu de mots sur le terme hébreu « lion », qui est aussi le deuxième prénom de l’auteur) est le premier ouvrage hébraïque de ce type sur les méthodes mnémotechniques et la mémoire. Il vise à aider les gens à améliorer leur mémoire, une compétence particulièrement importante pour les personnes qui étudient sérieusement la Torah. Il comprend trois sections, chacune étant divisée en douze chapitres. Influencé par Aristote et les chrétiens médiévaux ainsi que par des érudits juifs, Lev promeut et recommande certaines techniques mnémoniques tout en critiquant plusieurs autres méthodes couramment utilisées à cette époque, notamment la magie et les drogues, en particulier la consommation de « baladhur », la sève de l’anacardier d’Orient.

Lev s’avère encore plus intéressant quand on le considère sous différents angles contextuels. Dans la Bible hébraïque, l’infinitif du verbe « mémoriser » apparaît 169 fois. Plus qu’un simple décompte de mots, ce nombre indique l’importance accordée à la faculté de se souvenir et à la mémorisation, ce qui constitue la base essentielle de la tradition biblique orale destinée à assurer la survie de la religion et du peuple juifs. D’autres confessions médiévales considéraient également les exercices de mémoire comme une composante essentielle de leurs systèmes d’éducation. Les chefs religieux, qu’ils aient été Juifs ou non, s’intéressaient également à la disponibilité croissante des livres et à la possibilité qui en découlait de découvrir des idées différentes des leurs. Ils ont reconnu que le fait de renforcer la mémoire continuellement pouvait servir de rempart à la force morale de leurs ouailles contre de telles idées. La conception, l’écriture et la lecture d’un livre comme Lev, dans un tel but, peuvent donc sembler quelque peu ironiques.

À l’époque de Léon de Modène, les méthodes de mémorisation populaires comprenaient l’utilisation d’abréviations, la récitation lyrique (en particulier pour la Mishna) et la répétition, ainsi que celles mentionnées précédemment. Sa méthode mnémotechnique la plus traditionnelle, qui s’appuyait principalement sur les lieux et les images, trouve son équivalent dans la renaissance au XIVe siècle sous l’impulsion de Thomas d’Aquin, qui s’inspirait de l’art classique des techniques de mémoire dans la tradition de Simonide de Céos. Ces techniques classaient les souvenirs en deux types : naturels et artificiels, ou ceux établis à partir de lieux et d’images. Thomas d’Aquin a développé cette dualité pour créer ses quatre règles de base qui allaient dominer les techniques de mémorisation pendant la Renaissance.

Léon de Modène lui-même s’est appuyé considérablement sur De memoria et reminiscientia (La Mémoire et la réminiscence) d’Aristote pour faire valoir la mémoire comme étant l’un des quatre pouvoirs de l’âme sensible, se référant aux techniques classiques à l’instar de Thomas d’Aquin. Il jugeait qu’elles étaient naturelles et donc les plus sûres, les plus bénéfiques et les plus utiles pour améliorer la remémoration. L’une des méthodes qu’il suggérait était la conception d’un aide-mémoire afin de mieux se souvenir de ce qui y était inscrit; il a établi un parallèle entre cette méthode et les pratiques des scribes de la Bible hébraïque pour créer des parchemins. Lev se termine par un moyen mnémotechnique, une création de Nathan Ottolenghi du tableau des 613 commandements positifs et négatifs de la Bible de Maïmonide.

Étant donné que Léon de Modène a défendu ardemment l’autorité rabbinique toute sa vie, il n’est pas surprenant qu’il ait consacré un traité entier à la mémoire. Lorsqu’il a écrit Lev, l’ère de l’imprimerie moderne existait à peine depuis un peu plus de 150 ans, mais ses préoccupations concernant la mémoire faisaient écho à celles de rabbins qui l’avaient précédé, inquiets de ce qu’elle puisse rendre la mémorisation, la remémoration et la tradition orale juive pratiquement et profondément inutiles. Leurs craintes étaient omniprésentes aux débuts de l’impression hébraïque, et Lev visait à atténuer leur appréhension en démontrant le potentiel du nouveau moyen à servir et à renforcer les traditions existantes.

À propos de l'auteur

Né à Venise (Italie), Léon de Modène, aussi connu sous le nom de Yehudah Aryeh mi-Modena (1571-1648), était issu d’une famille française qui s’était installée à Modène. Il existe peu d’informations sur les débuts de la vie de Léon, alors qu’il a vécu principalement à Ferrera, mais tout indique que sa précocité en matière de connaissances s’étendait bien au-delà des études juives traditionnelles et comprenait la musique, la philosophie, les mathématiques et la poésie, ainsi que la maîtrise du latin et de l’italien. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait écrit sa première œuvre, le poème hébreu/italien Kinah Shemor, à 13 ans. 

Sa fiancée Esther étant décédée en 1590, il épousa alors sa sœur Rachel. Léon est retourné à Venise pour recevoir son ordination rabbinique, mais il a été ordonné seulement après que le bet din (conseil rabbinique) local l’ait retardée en relevant l’âge minimum requis ‒ à deux reprises. Ironiquement, il n’a jamais trouvé de poste rabbinique permanent et il a également refusé d’accepter l’offre d’une université parisienne d’une chaire de langues orientales, car elle exigeait qu’il se convertisse. 

Son parcours professionnel itinérant fait plutôt état d’un travailleur qui a joué les rôles de correcteur d’épreuves, fabricant d’amulettes, libraire, interprète, enseignant, marchand, écrivain et intermédiaire. Les deux carrières les plus longues de Léon semblent traduire ses instincts les plus nobles et les plus bas : il a été le cantor d’une synagogue vénitienne pendant plus de quarante ans, mais il a également été un joueur professionnel toute sa vie. Ses écrits intègrent parfois ce dernier aspect : dans Chayei Yehudah, la première autobiographie complète écrite en hébreu, Léon aborde sa dépendance au jeu, et il a également écrit un traité halakhique (selon la Loi juive) contre les méfaits des jeux de cartes. De même, dans Lev ha Aryeh (1612) dont la BPJ possède un exemplaire, Léon traite des techniques d’exercice de la mémoire pouvant être liées à cette activité. 

Cependant, les arguments de Léon contre la Kabbale sont devenus ses œuvres les plus connues, voire les plus tristement célèbres. Extrêmement mal vue à une époque où la plupart des rabbins italiens soutenaient ou pratiquaient la Kabbale, sa position a fait en sorte que bon nombre de ses textes n’ont été publiés que longtemps après sa mort. Par exemple, dans Ari Nohem, il a avancé l’hypothèse de l’origine moderne du Zohar. Des recherches savantes ultérieures ont prouvé qu’il avait raison, mais il a fallu attendre 1840 pour obtenir l’impression de cet ouvrage. 

En plus d’être un anti-kabbaliste, Léon a trouvé la renommée en tant qu’intermédiaire auprès des chrétiens sur la pratique et la tradition juives. La lecture de son Historia de gli riti Hebraici (1637), l’un des premiers textes écrits sur le judaïsme pour un public non-juif après ceux de Josèphe et de Philon, a suscité énormément d’intérêt et l’œuvre a été traduite en de nombreuses langues. 

Les œuvres de Leon comprennent également, entre autres, Sod Yesharim (1594), Galut Yehudah (1612), Sha’agat Aryeh (1622), Ben David (1636) et Phi ha Aryeh (1640), ainsi que de nombreux volumes de responsa et de poésie.

Dans Chayei, Léon révèle que son mariage malheureux avec Rachel n’est qu’un des nombreux détails intimes de sa vie personnelle plutôt tragique. Il a également eu trois fils qui sont tous décédés avant lui à l’âge adulte dans différentes circonstances, notamment en raison d’un empoisonnement lié à l’alchimie, d’un meurtre et d’une situation de rupture avec sa famille; de plus, un désaccord entre Léon et le nouveau mari de sa fille préférée devenue veuve a incité le jeune couple à s’enfuir, laissant leur fils aux soins de Léon et de Rachel. Cette querelle a sans doute contribué à rendre la relation entre Rachel et Léon encore plus tendue, et a peut-être concouru à leur mort en l’espace de deux semaines en mars 1648. La communauté juive et de nombreux écrivains chrétiens d’Italie et d’Europe ont fait son éloge. 

L’héritage de Léon est demeuré complexe. Les érudits du XIXsiècle ont étudié ses manuscrits dans l’optique du judaïsme contemporain plutôt que d’adopter une approche contextuelle. Leurs opinions variaient sensiblement : certains le considéraient comme opposé au judaïsme traditionnel et précurseur du judaïsme réformé; d’autres, opposés au réformisme, le qualifiaient simplement de joueur et d’hérétique. Une interprétation plus nuancée pourrait considérer Léon de Modène comme l’un des derniers rabbins de l’ère médiévale à défendre le maintien de l’autorité rabbinique face aux pressions exercées en vue de limiter son pouvoir. 

Les exemplaires de la BPJ

L’exemplaire de la première édition de Lev (1612) que possède la Bibliothèque, un volume très mince de format in-quarto, mesure 20 x 14 x 0,5 cm. Les plats formés d’une simple pochette de papier ne sont pas les originaux; ils demeurent à peine reliés aux pages qui sont extrêmement endommagées et rongées par les insectes, tout comme les plats. Le plat recto porte également une courte inscription du titre en hébreu, en caractères d’imprimerie hésitants. Cependant, en ouvrant le livre, on aperçoit une page titre ornée de portes archétypales qui annonce le titre, l’auteur et d’autres informations pertinentes dans une combinaison de caractères d’imprimerie et de caractères Rashi. Au bas, la mention latine Con licenza de’Superiori indique que l’imprimeur a obtenu le droit de publier cet ouvrage. 

Le texte proprement dit est en caractères d’imprimerie; les sous-titres et la liste des 248 commandements positifs sont en écriture Rashi, et la liste s’étend aux rectos et versos des trois derniers feuillets. L’impression est parsemée de bavures du début à la fin, ce qui est typique des ouvrages publiés aux débuts de l’édition. La foliation commence au deuxième feuillet et comporte une erreur : au lieu de la lettre de l’alphabet hébreu bet (qui équivaut à « 2 »), on y trouve dalet (4) mal imprimé. L’erreur se reproduit sur le quatrième feuillet, où bet apparaît à la place de dalet. Plus particulièrement, au quinzième feuillet, on aperçoit les lettres yod-hé (10-5); étant donné que cette combinaison représente les deux premières lettres hébraïques du tétragramme divin, les lettres tèt (9) et vav (6) servent normalement de substitut. L’ouvrage se termine par la récapitulation d’Ottolenghi de la liste des 613 commandements bibliques de Maïmonide dans un foliotage non paginé. Cependant, les trois dernières pages sont absentes, y compris la déclaration d’approbation complète et datée du censeur de Lev.

L’ouvrage ne comporte aucune note marginale. Cependant, le plat supérieur porte le numéro « 23 » griffonné à l’encre sous le titre, et l’inscription au crayon « Venise 1612/Très rare/50,00 » figure sur la page intérieure. Il est probable qu’un libraire est l’auteur de cette inscription, le nombre indiquant très certainement le prix du livre, bien qu’en l’absence de symbole monétaire, il soit impossible d’établir la valeur exacte, et encore moins de déterminer à quel endroit se trouvait le vendeur. Néanmoins, à partir de ces informations, on peut supposer que le cofondateur de la BPJ Yehuda Kaufman a pu acheter cet exemplaire à New York, car il s’y rendait régulièrement pour acquérir des livres anciens. 

À propos de l'imprimeur

Giacomo Sarzino (né Ya’akov ben Yosef Soresina vers la fin du 15e siècle-1641), originaire de Kościelec (Pologne), a d’abord étudié le métier de la shehita (boucherie cachère) auprès du rabbin de Cracovie Tzvi Buchtner, auteur d’une série complète de gloses et de notes relatives au Shehitot u-Bedikot du rabbin Jacob Weil. Giacomo a ensuite émigré à Venise, à une époque où les rabbins et fonctionnaires religieux polonais semblables considéraient que la communauté juive ashkénaze de cette ville et d’autres régions d’Italie n’appliquait plus ses connaissances et avait abandonné ses pratiques religieuses. 

À Venise, Giacomo a écrit Sefer ha-Nikur (1595), un résumé trilingue (hébreu, italien et judéo-espagnol) de l’œuvre de Buchtner qui a été publié par la presse Di Gara. Nikur comprend un poème préliminaire composé par un correcteur d’épreuves travaillant alors pour Di Gara : Léon de Modène. Leur relation de travail ne tardera pas à évoluer. 

Giacomo a ensuite travaillé comme éditeur et typographe pour les presses vénitiennes Di Gara, Zanetti et Bragadin. Comme les membres de la famille Bragadin se détachaient de plus en plus des affaires courantes de leur presse, ne s’intéressant qu’à ses bénéfices, Giacomo, entre autres, a très probablement fait fonctionner la presse et utilisé les installations pour imprimer ses ouvrages. Parmi les livres qu’il a publiés figurent deux écrits par son ancien collègue de la presse Di Gara, Léon de Modène : Lev ha Aryeh, dont la BPJ possède un exemplaire, et Galut Yehudah (tous deux en 1612).

Au cours de sa carrière d’imprimeur, Sarzino a produit des ouvrages hébraïques et non hébraïques. En fait, il a été l’un des principaux imprimeurs de l’Incogniti, un groupe d’érudits italiens à qui, selon certaines estimations, l’on doit étonnamment la moitié des textes approuvés pour impression en Italie entre 1632 et 1642. Il est décédé à Venise.

Censure des livres juifs en Italie

Lorsque Gershon Soncino a publié la première édition imprimée de la Bible hébraïque en 1488, les Juifs étaient déjà installés depuis au moins deux siècles dans ce qui était encore diverses régions indépendantes de l’Italie. Ils vivaient et travaillaient généralement librement, soumis à des restrictions variables, parfois laxistes, de la part des autorités civiles et papales de l’époque, comme en témoigne leur gestion de l’impression des livres hébraïques.

De leur côté, les autorités civiles, notamment à Venise, étaient reconnaissantes des revenus provenant des droits et des taxes sur les licences des imprimeurs, les fournitures d’imprimerie et les ventes de livres. Bien entendu, si leurs concitoyens chrétiens étaient les premiers à en profiter, les Juifs pouvaient également tirer un certain revenu et une certaine sécurité du commerce croissant du livre. Par exemple, en 1516, les Juifs de Venise ‒ même s’ils étaient contraints de s’installer dans le ghetto nouvellement établi ‒ pouvaient encore publier des livres en hébreu à condition de retenir les services de chrétiens pour l’impression proprement dite.

En plus de ces considérations mercantiles, de nombreux membres du clergé et du milieu universitaire chrétien se sont également opposés aux premières tentatives sporadiques de l’Église catholique d’intervenir auprès de cette nouvelle industrie, car ils souhaitaient eux aussi avoir accès aux œuvres hébraïques. De plus, la papauté n’avait aucune autorité légale à Venise ou dans d’autres villes-États comme Sabbioneta, où se trouvait la presse hébraïque qui publia Mirkevet pour la première fois en 1551. Cependant, elle possédait un tel pouvoir à Rome et, l’année même de la parution de Mirkevet, le pontife de l’Église a résolu un procès papal impliquant deux imprimeurs chrétiens vénitiens rivaux de livres hébraïques. Son décret a donné lieu à une attaque soutenue, longue de 40 ans, contre le milieu culturel juif dans toute l’Italie. Mirkevet fut l’une des premières victimes de cette attaque.

Le conflit juridique a commencé lorsque le rabbin Meir Katzenellenbogen de Padoue a proposé son commentaire sur la Mishna Torah de Maïmonide aux éditeurs de livres hébraïques de Venise. La presse de Giustiniani n’était pas intéressée, mais le rabbin Meir a convaincu la presse de Bragadin, plus récente et moins bien établie, de l’imprimer.

Le succès phénoménal de l’édition de Bragadin a incité Giustiniani à en publier une version identique. Le rabbin Meir obtint alors un avis halakhique (sur la Loi juive) faisant autorité de la part de l’influent rabbin Moses Isserles de Cracovie, qui a menacé les acheteurs du livre de Giustiniani d’excommunication. À son tour, Giustiniani a fait appel à la cour papale afin d’obtenir une décision ecclésiastique similaire contre l’édition de Bragadin.

Au tribunal, le conflit a dégénéré lorsque les parties rivales ont fait appel à des Juifs apostats pour vérifier que le livre de l’autre partie contenait des écrits antichrétiens. Les deux parties en vinrent rapidement à s’accuser mutuellement d’imprimer des textes antichrétiens, notamment dans le Talmud. L’affaire attira l’attention du pape Jules III, qui ordonna un nouvel examen de la question.

Pendant que le pape réfléchissait, la presse de Tobias Foà à Sabbioneta ouvrait ses portes et publiait son premier livre, Mirkevet. Celui-ci a paru peu avant que Giustiniani, souffrant de la baisse des ventes due à l’injonction d’Isserles, ne ferme sa presse en 1552.

L’été suivant, le pape Jules III a rendu sa décision, ordonnant la confiscation et l’autodafé de tous les exemplaires du Talmud et de nombreux autres livres hébraïques à Rome. Comme il fallait s’y attendre, c’est ce qui s’est produit, et l’impression hébraïque cessa dans cette ville jusqu’en 1810.

Jules III réussit à persuader d’autres régions de suivre son édit et, au moins jusqu’au début du XVIIsiècle, ses successeurs ont inspiré jusqu’à quatre vagues de censure contre les livres hébraïques en Italie. Les autorités civiles locales et régionales promulguaient des lois que défendaient vigoureusement leurs homologues de l’Église, alors que ces derniers les mettaient en œuvre. Dans de nombreuses villes et régions, le conseil de la communauté juive locale essayait souvent de devancer et de limiter la portée de ces lois en pratiquant l’autocensure des livres.

Cependant, les Juifs se trouvaient souvent contraints par la loi de remettre leurs livres aux censeurs, généralement des Juifs convertis récemment au christianisme et dont la connaissance de l’hébreu et du judaïsme était parfois douteuse. Ces derniers et leurs surveillants ecclésiastiques ajoutaient une variable supplémentaire à la série d’ordonnances, de listes de livres et de directives implicites approuvées par le pape qu’ils utilisaient, des facteurs qui changeaient fréquemment. Même si un censeur rendait un livre « censuré adéquatement » à son propriétaire, un prochain censeur pouvait ordonner qu’il soit soumis à un nouvel examen. Par conséquent, ce livre pouvait faire l’objet d’une nouvelle censure à plusieurs reprises, d’une confiscation ou d’un autodafé; son propriétaire pouvait être condamné à des amendes et à une peine de prison. Pour comble, les propriétaires de livres juifs devaient généralement engager des frais pour chaque processus de censure.

Un tel climat de censure a entraîné des résultats à la fois évidents et inattendus à l’échelle de l’Italie. D’une part, la presse de Bragadin à Venise a fermé peu après la décision du pape Jules III, tout comme les autres presses hébraïques vénitiennes que dirigeaient des Juifs. Au cours des dix années qui suivirent, les quelques entreprises vénitiennes appartenant uniquement à des chrétiens et gérées par eux qui imprimaient encore des livres hébraïques produisirent environ 30 titres, soit à peu près le même nombre que celui imprimé en 1550 seulement. En 1563, grâce à un bref répit des restrictions religieuses et civiles, les imprimeurs juifs ont pu officiellement rouvrir leurs portes à Venise, mais la ville n’a plus jamais dominé le monde de l’impression hébraïque.

D’autre part, de nombreux administrateurs et employés juifs de ces presses s’étaient installés dans des régions italiennes qui n’étaient pas encore tombées sous l’emprise du pape. Par exemple, Foà, l’imprimeur de Mirkevet, a retenu les services de plusieurs maîtres imprimeurs juifs vénitiens.

Néanmoins, la tendance à la censure a fini par s’étendre à des régions autrefois tolérantes, comme le diocèse de Crémone, qui comprenait Sabbioneta. Il semblerait que la pression exercée par les censeurs de l’Église dans ce diocèse, y compris les autodafés du Talmud, ait conduit Foà à fermer sa presse et à la vendre huit ans seulement après l’impression de Mirkevet. Ces mêmes personnages officiels ont fort probablement censuré de nombreux exemplaires de livres que Foà a imprimés, comme en témoignent les parties visiblement noircies et découpées d’un exemplaire de Mirkevet que possède la BPJ.

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