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Jewish Public Library

La Guerre des Juifs (espagnol)
(Séville : Juan Cromberger, 1536)

À propos du livre

Vers 75 EC, Josèphe a écrit De Bello Judaico (« La Guerre des Juifs »), l’une des cinq principales sources existantes sur la Première Guerre judéoromaine (55-73 EC). Les deux premiers de ses sept volumes résument l’histoire juive depuis la prise de Jérusalem par Antiochus IV Éphiphane jusqu’aux premières étapes de la guerre. Les volumes suivants détaillent les événements de la guerre et se terminent par la mort des derniers Sicaires (zélotes juifs) qui attaquaient furtivement, mais publiquement, les Romains et leurs sympathisants avec de petits poignards, proclamant audacieusement leur opposition farouche à l’occupation de la Judée par Rome.

Josèphe commence De Bello en adressant une salutation désobligeante aux membres de sa communauté juive natale, qu’il qualifie de « barbares de la classe supérieure ». Il semble ensuite essayer de contrer son parti pris évident en soutenant qu’il veut simplement réfuter les récits sur la guerre qui s’opposent aux Romains, et il attribue même aux gouverneurs romains corrompus et incompétents de la Judée une certaine responsabilité dans le conflit. Toutefois, il en rejette finalement la responsabilité sur les zélotes qui ont monté les masses contre lui et d’autres dirigeants aristocratiques. Il estime que les Juifs devraient accepter pacifiquement la domination romaine parce qu’elle est un don de Dieu. Contrairement au Josèphe qui a composé les Antiquités judaïques 20 ans plus tard, le Josèphe qui a rédigé De Bello ne tente pas de réconcilier les visions juive et romaine du monde.

Bien que le plus ancien manuscrit existant, en grec, de l’œuvre de Josèphe constitue la base de toutes les premières traductions, les érudits en la matière s’entendent généralement à dire que le manuscrit original était en araméen, quoiqu’il n’en subsiste aucun. Par conséquent, bien que Josèphe ait, semble-t-il, supervisé la version grecque, l’interprétation du traducteur grec a teinté cette version. Un certain nombre de traductions ultérieures basées sur le grec révèlent une interprétation plus libérale que d’autres. Par exemple, la version qui aurait été achevée en langue slave près d’un millénaire après la mort de l’auteur contient ce qui est décrit comme une « traduction très libre », avec une quantité considérable de texte qui ne se trouve nulle part dans aucune version grecque. Une ancienne version hébraïque existe également, et comprend un nombre similaire de disparités textuelles par rapport à la version grecque. Les versions slave et hébraïque mettent toutes deux en lumière une longue histoire de traduction, d’interpolation et de modification du texte original de Josèphe.

À propos de l'auteur

Natif de Jérusalem, Titus Flavius Josephus, né Yosef ben Matityahu (37-100 EC) a laissé derrière lui un recueil d’écrits historiques qui, encore aujourd’hui, en font un personnage controversé. Bien qu’ils contiennent un témoignage contemporain unique et précieux sur les rébellions juives du Ier siècle contre la domination romaine dans la région de la Terre sainte, connue sous le nom de Judée ‒ ainsi que sur Jésus de Nazareth ‒ ils comportent également de nombreux détails autobiographiques qui demeurent aussi contestés et douteux que les véritables loyautés de Josèphe. Indépendamment du verdict que l’on peut rendre à ce sujet, ses œuvres donnent aux lecteurs une idée des influences concurrentes qu’ont exercées sur lui son judaïsme natal et le christianisme naissant.

Josèphe et son frère avaient des parents qui représentaient la transition de l’époque entre le contrôle juif et non-juif en Judée. Sa mère était une descendante de la dynastie royale des Hasmonéens, les derniers dirigeants juifs du territoire; son père, un Kohen (prêtre juif) de haut rang, s’est fait connaître pour son tact à l’égard de la dynastie hérodienne soutenue par l’Empire romain qui a conquis la Judée et supplanté les Hasmonéens en 37 av. J.-C. Josèphe racontera plus tard qu’il a grandi dans un milieu privilégié et fortuné, où il a reçu une éducation complète.

À 16 ans, Josèphe aurait effectué un long voyage spirituel de trois ans en pleine nature avec un membre d’une secte juive ascétique. À son retour à Jérusalem, il s’est joint aux pharisiens, une autre faction juive qui, fait crucial, ne voyait pas d’inconvénient à ce que les non-Juifs gouvernent la Terre sainte tant qu’ils pouvaient pratiquer leur religion. Sur ce point, comme sur beaucoup d’autres à venir, il existe de nombreuses spéculations à savoir si Josèphe croyait réellement au dogme pharisien ou s’il s’est simplement associé à ce groupe par opportunisme en prévision de ce qu’il considérait peut-être comme une fin inévitable : la défaite de la révolte juive contre la domination romaine en Judée.

Bien qu’il ait renversé le royaume juif de Judée 60 ans plus tôt, le régime romain a continué de lutter en vue de consolider son pouvoir contre les rébellions juives qui se poursuivaient de façon sporadique. Les hostilités se sont intensifiées et, au début de la vingtaine, Josèphe s’est rendu à Rome pour négocier avec l’empereur Néron la libération et le retour de plusieurs Kohanim (prêtres) capturés. Bien que Josèphe ait réussi sa mission là-bas, la culture et la sophistication romaines qu’il y a rencontrées semblent l’avoir profondément impressionné, tout comme la puissance militaire de l’Empire.

Il est retourné à Jérusalem à la veille de la Première Guerre juive (66-70 EC), une révolte juive générale menée par les zélotes nationalistes et militaristes à la grandeur de la Judée qui a abouti à la mise en place d’un gouvernement révolutionnaire. Josèphe, un modéré autoproclamé, du moins dans ses mémoires, plaide pour la conciliation avec les forces romaines. On pourrait suggérer qu’un ou plusieurs facteurs ont motivé sa prise de position : ses prétendues convictions pharisiennes, sa connaissance des forces armées de Rome ou son appartenance à l’élite. Cependant, dans ce cas précis, il se peut que l’explication la plus logique soit le simple opportunisme, ce qui pourrait également expliquer ses actions ultérieures.

Lorsque les zélotes ont remporté une victoire de guerre précoce en renversant la garnison romaine de Jérusalem, Josèphe s’est rallié à eux de manière pragmatique. Ils l’ont nommé commandant militaire dans la région de la Galilée, même s’il était toujours enclin à la conciliation avec l’Empire. Son point de vue entrait en conflit avec celui de Jean de Giscala, un Galiléen qui avait organisé une milice privée de paysans. Josèphe et Jean perdirent un temps considérable à se disputer le contrôle des opérations rebelles tandis que les forces du général romain et futur empereur Vespasien se préparaient à attaquer. Bien que Josèphe ait écrit plus tard qu’il avait assumé seul la direction des rebelles galiléens, son nouveau statut est devenu un sujet sans intérêt.

En 67 EC, l’armée de Vespasien a massivement détruit la majeure partie de la résistance galiléenne en quelques mois. Dans ses mémoires, Josèphe a rapporté que les Romains l’avaient assiégé, lui et une quarantaine d’autres Juifs. Plutôt que de se rendre, les rebelles avaient choisi de tirer au sort l’homme qui tuerait les autres et se suiciderait ensuite. Josèphe a prétendu que la chance ou une intervention divine lui a permis de « gagner » ce tirage au sort; peu importe quelles ont été les circonstances réelles, il s’est plutôt rendu. Amené devant Vespasien, il a apparemment évité l’exécution grâce à un autre opportunisme : il a prédit l’ascension de ce dernier au poste d’empereur, ce qui impressionna suffisamment Vespasien pour qu’il épargne la vie du général capturé.

Josèphe a passé les deux années suivantes sous les verrous dans un camp romain, alors que ses prévisions gagnaient en crédibilité après la mort de Néron en 68 EC. L’année suivante, les troupes de Vespasien le proclamèrent empereur ‒ et celui-ci libéra Josèphe avec gratitude. À son tour, Josèphe a déclaré son allégeance à l’Empire, adoptant Flavius, le nom de famille de Vespasien, comme son propre nom.

En 70 EC, Josèphe a rejoint les forces romaines sous le commandement de Titus, le fils de Vespasien et futur successeur de l’empereur, alors qu’elles entamaient la dernière bataille de la guerre : le siège de Jérusalem. Au cours de sept mois de combats brutaux, Josèphe a tenté d’agir en tant que médiateur entre l’Empire et les rebelles, mais son histoire d’alliances changeantes a amené les deux parties à se méfier de lui. Lorsque Jérusalem est tombée aux mains de l’Empire, Josèphe s’est rendu à Rome où, ayant obtenu la pleine citoyenneté et une pension, il passa le reste de sa vie à se consacrer à ses activités littéraires. Outre une traduction espagnole (1536) de La Guerre des Juifs de Josèphe, notre collection comprend une traduction latine de son œuvre Antiquités judaïques datant de 1481, ce qui en fait notre document le plus ancien.

L'exemplaire de la BPJ

En 1536, à peine un demi-siècle après que le Vénitien Renaud de Nimègue ait publié l’exemplaire de la BPJ des Antiquités judaïques de Josèphe, Juan Cromberger de Séville a publié notre exemplaire de la traduction espagnole de De Bello Judaico. On peut facilement repérer des améliorations tangibles dans le perfectionnement des techniques d’impression entre ces deux livres, sans parler des progrès réalisés au cours des 80 ans qui séparent la première impression de Gutenberg et les efforts de Cromberger.

Notre exemplaire mesure 27,5 x 20 x 3 cm. Il porte encore sa reliure d’origine en cuir beige rigide, souple au toucher, légèrement usée, mais peu abîmée, sauf une tache brun foncé qui est visible dans le coin supérieur gauche du plat recto. « Historia de Flavio Josephus » est écrit au dos à la main à l’encre foncée, bien qu’à 25,4 mm au bas du dos, la dernière moitié de « Josephus » disparaît sous « Sevilla, 1536 ». Le chiffre « 825 » apparaît aussi au dos, à la partie supérieure, sous un symbole en grande partie effacé qui semble avoir été une lettre, peut-être un « K », enfermée dans un « C » ou un « G ». Les coutures supérieure et inférieure au dos ont transpercé le cuir, et des déchirures mineures sont visibles.

En ouvrant le livre, on peut lire « C. Sevilla 1536 » écrit à l’encre à la main de la même façon que les inscriptions visibles au dos, dans le coin supérieur gauche de la garde collée. En dessous, au crayon, on aperçoit « E. 3 » [ ?], bien qu’une ligne ait été tracée en travers, et « S-1 » inscrit en plus gros caractères juste à côté. Au-dessus, quelqu’un a manifestement inscrit une autre partie de texte le long du centre supérieur de la garde collée à un certain moment, mais parce qu’on aurait voulu l’effacer ultérieurement, une partie de la garde collée a été arrachée. La reliure de cuir s’est détachée des pages, tout en étant retenue au bas par la couture de la tranchefile. Le recto de la garde finale est vierge, à l’exception de grands chiffres inscrits au crayon à la partie supérieure : « 6-2=926926 ». Un filigrane bien visible au centre de la page représente une couronne inclinée qui repose au sommet d’un cadre ornementé surmonté d’une croix où sont inscrites les lettres « I H S ». En dessous, on peut lire « PERRS ». Ce filigrane n’apparaît pas ailleurs dans le livre. Cependant, le filigrane que l’on peut voir dans le livre représente une main surmontée d’une étoile.

La page titre contient des cadres richement illustrés. Le cadre supérieur laisse voir un chevalier qui monte à cheval, épée à la main. Les cadres latéraux représentant des fontaines et des trophées décorés d’angelots : un trophée contient les lettres « S.M. ». Dans le cadre inférieur, des angelots tiennent un blason contenant un orbe crucigère dans lequel est inscrit « I C ». À l’intérieur de ces cadres, du texte en rouge identifie l’auteur et l’œuvre, et indique la date d’impression à l’encre noire en chiffres romains. Le titre, à l’encre rouge, apparaît juste au-dessus du cadre supérieur. Le recto de la page titre comporte une note au lecteur où figurent les noms du roi Ferdinand et de la reine Isabelle. Le prologue du texte proprement dit commence au verso de la page suivante.

Chaque section débute par une initiale illustrée qui semble imprimée plutôt que dessinée à la main parce que certaines sont identiques et ne présentent aucune variation. Voilà peut-être la plus grande différence entre ce livre et notre exemplaire des Antiquités judaïques de 1481, où les espaces vides indiquent l’intention d’un enlumineur de les ajouter à la main. Autre différence entre les deux : aucune note marginale n’est présente, contrairement aux Antiquités judaïques, fortement annotées. En fait, la seule écriture manuscrite apparaît à la dernière page, où du texte à l’encre qui s’estompe maintenant semblait vouloir remplacer celui qui avait disparu par suite de dommages causés par l’eau.

Tout comme les Antiquités judaïques, ce livre comprend des assemblages de huit pages de format in-folio; le texte apparaît sur deux colonnes, au lieu d’une seule colonne couvrant toute une page, ce qui deviendra la norme quelques années plus tard.

Les pages de tissu foliotées ne présentent que des dommages minimes ‒ provoqués principalement par des insectes le long du dos, bien que quelques pages soient déchirées. On n’y voit pas de réclame, mais les assemblages sont indiqués dans le coin inférieur droit. Le colophon figure à la fin de l’ouvrage, ainsi qu’un paragraphe de texte expliquant l’ouvrage et indiquant le nom de l’imprimeur, ainsi que le lieu et la date de publication. Un tableau apparaît à la fin du livre à la suite du colophon précisant de façon détaillée que sept livres composent l’ensemble de l’ouvrage, chacun étant divisé en chapitres et comprenant l’indication du folio sur lequel commence chaque chapitre.

À propos de l'imprimeur

L’Espagnol Juan Cromberger est réputé être né à Séville ou à proximité, vers le début du XVIsiècle. Ses parents, Jacobo Cromberger et Comincia de Blanquis, se sont mariés vers 1499 après le décès du mari de Comincia, Meinardo Ungut, un imprimeur allemand qui avait employé Jacobo. Ce dernier a alors pris le contrôle de l’imprimerie d’Ungut, y exerçant également les fonctions d’éditeur et de libraire. Le couple a eu deux enfants : Juan et une fille, Catalina.

Entre 1503 et 1520, Jacobo a imprimé environ 300 éditions, dont une série de 39 volumes de décrets législatifs du roi Manuel Ier du Portugal qui l’avait personnellement convoqué à Lisbonne. Devenue une entreprise lucrative, la presse de Cromberger monopolisait une grande partie de l’industrie du livre en Espagne. Ses affaires et ses contacts s’étendirent bientôt à toute l’Andalousie pour inclure le commerce des bijoux (également établi en Amérique) et le commerce des esclaves dont il tirait la main-d’œuvre pour sa presse.

Ayant déjà travaillé aux côtés de son père pendant plusieurs années, Juan finit par prendre le contrôle de la plupart des activités de la presse en 1525. Il a également épousé la fille de libraires de Salamancan, Brígida Maldonado, qui a convaincu les deux Cromberger d’imprimer de nouveaux livres, plutôt que de simplement réimprimer des livres à succès, un risque qui s’est avéré très rentable par la suite.

Au décès de Jacobo en 1528, Juan a hérité d’une vaste fortune, des relations commerciales et des intérêts dans la bijouterie de son père, ainsi que d’une partie des actions de la presse. Sa sœur Catalina a hérité du reste des actions, que Juan lui a rachetées afin de détenir le contrôle de la presse.

Entre 1529 et 1540, malgré la concurrence accrue d’autres imprimeurs, les bénéfices de Juan ont été supérieurs à ceux de son défunt père. Un des facteurs a pu être qu’il a choisi d’imprimer moins d’ouvrages savants en latin, favorisant les livres en espagnol dont les ventes étaient potentiellement plus importantes. Il importe de souligner qu’il aurait aussi indiqué que sa profession principale n’était pas imprimeur, mais plutôt « marchand ». Ce terme assez inoffensif faisait abstraction de ses investissements dans des échanges commerciaux peu recommandables, mais lucratifs, avec le Nouveau Monde, dans le cadre des activités que sa famille avait établies (bijoux, trafic d’esclaves) et de nouvelles entreprises comme les mines d’argent.

Néanmoins, l’histoire retient à juste titre le rôle de Cromberger dans l’introduction de l’imprimerie en Amérique, notamment en Nouvelle-Espagne (aujourd’hui le Mexique). En 1533, sa presse était considérée comme la plus importante de Séville, chargée de produire des ouvrages pour l’archevêque dont l’autorité s’étendait au diocèse mexicain. Lorsque le premier évêque de Nouvelle-Espagne Juan de Zumárraga décida qu’une presse à imprimer pourrait l’aider dans ses efforts d’évangélisation, il a choisi Cromberger pour l’établir. C’est ainsi que Cromberger a dépêché Juan Pablos, un imprimeur italien, pour la mettre en place.

En 1539, un contrat a engagé la presse à imprimer 3 000 pages par jour pendant 10 ans sous la marque de Cromberger, bien que Pablos devait en devenir propriétaire plus tard. Cromberger l’a entièrement financée, à commencer par l’investissement initial, le voyage de Pablos au Mexique accompagné de sa femme, d’un employé supplémentaire et d’un esclave, et incluant toutes les fournitures nécessaires à l’imprimerie. En contrepartie, Cromberger a obtenu le monopole de l’impression et de la distribution des livres en Nouvelle-Espagne. Cette presse a produit Breve y más compendiosa doctrina Christiana en lengua Mexicana y Castellana (1539), le premier livre jamais imprimé dans l’hémisphère occidental.

Malheureusement, Juan lui-même ne profita guère de son nouveau monopole et mourut en 1540. À Séville, sa femme Brígida continua de diriger la presse tout en gérant le poste éloigné en Nouvelle-Espagne, jusqu’à ce que son fils reprenne toute l’affaire six ans plus tard. Elle ne s’est jamais remariée.

Le petit-fils de Brígida, Jácome, a été le dernier praticien de la dynastie des Cromberger comme imprimeurs. À l’image de son grand-père, Jácome a épousé la fille d’un imprimeur de Salamanca, mais le destin s’est montré moins clément envers eux : de nombreuses publications produites pendant son mandat ont fini par figurer à l’index des livres interdits par l’Église catholique. En conséquence, la fortune de la famille Cromberger s’est tarie; en 1557, la presse a finalement cessé ses activités. La même année, Jácome a quitté l’Espagne pour les Antilles et il est mort peu après.

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