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Jewish Public Library

The Jew(London : C. Dilly, 1797)

À propos du livre

Imprimée pour la première fois en 1794, la pièce The Jew du dramaturge britannique Richard Cumberland a été montée la même année. Les spectateurs ont découvert un personnage jamais vu auparavant sur scène : la représentation positive d’un Juif, qui se trouve être également le héros de la pièce.

Il convient de noter que c’est grâce à sa grande popularité que Cumberland a eu la possibilité de monter cette pièce. En tant que dramaturge chevronné, il a profité de son influence pour ébranler les préjugés. À cet égard, la pièce n’est pas unique, puisqu’elle est l’un de plusieurs drames de Cumberland portant sur la « réhabilitation ». Son protagoniste Sheva est souvent considéré comme l’ancêtre des « bons Juifs » dans la littérature créée pour faire échec à la rhétorique antisémite populaire sur les scènes et dans le matériel de propagande anglais entre 1753 et 1794.

The Jew est souvent vu comme une révision du drame de Shakespeare Le marchand de Venise, le véhicule du personnage juif le plus célèbre et le plus notoire, Shylock, l’opposé absolu de Sheva. Bien que l’intrigue de la pièce reprenne en grande partie celle du Marchand, elle l’actualise également pour tenir compte des traditions scéniques du XVIIIsiècle, notamment en remaniant complètement l’intrigue romantique, et surtout, elle met en évidence la nature charitable de Sheva.

Il est donc surprenant que l’auditoire majoritairement non juif ait accueilli The Jew chaleureusement, alors que les Juifs d’Angleterre n’en ont pas fait grand cas. En comparaison, après de nombreuses représentations en Irlande sous le titre The Benevolent Hebrew, le public juif et non juif américain a acclamé la pièce ainsi renommée à maintes reprises à Philadelphie, Baltimore, Boston, Providence, Norfolk et Charleston. Quant à ces différences dans la réaction des Juifs à la pièce, la professeure de littérature Eve Tavor Bannet propose plusieurs explications.

La première est que la pièce dépeint Sheva comme un pauvre colporteur juif ashkénaze, avec un accent ashkénaze stéréotypé. Cependant, le pedigree du personnage indique clairement son statut de réfugié de l’Inquisition espagnole. Les Juifs sépharades contemporains de l’Angleterre n’ont pu s’empêcher de réagir avec aversion à cette association de leur communauté, devenue riche et fortement assimilée, avec un Juif opprimé et visiblement reconnaissable, ce qu’ils percevaient comme un pas en arrière dans la mise en évidence de leur altérité telle qu’ils la percevaient.

En outre, de nombreux Juifs anglais, qu’ils aient été sépharades ou ashkénazes, estimaient que The Jew mettait en lumière plusieurs problèmes rappelant au public que le statut juridique des Juifs anglais était précaire, ce qui pouvait même être perçu comme une provocation. Cumberland a fait référence au fait que le décret d’expulsion de 1290 n’avait jamais été abrogé, faisant des Juifs des non-personnes dont la résidence en Angleterre dépendait uniquement des caprices du monarque. Il a également fait interagir Sheva avec des marchands anglais non juifs, qui en réalité comptaient parmi certains des opposants les plus virulents à l’inclusion des Juifs dans la société anglaise. De même, après l’émancipation postrévolutionnaire des Juifs en France, et les troubles politiques concomitants à travers l’Europe qui ont conduit à une augmentation de l’émigration juive en Angleterre, The Jew défendait l’Angleterre comme une société chrétienne normative ‒ où les Juifs demeuraient un groupe étranger toujours sujet à être accusé de loyautés partagées.

Beaucoup moins nombreuse, la population juive américaine était en revanche face à un environnement juridique et social fort différent. À partir des années 1740, les immigrants juifs dans les colonies de l’époque n’avaient besoin que de sept ans pour obtenir la naturalisation. Pendant la guerre d’indépendance, les riches familles juives ont démontré leur loyauté envers la Révolution, contribuant à la fois au financement et à la main-d’œuvre; par la suite, les Juifs sont devenus des citoyens à part entière possédant les mêmes droits civils que tous les autres Américains, y compris le droit de vote. En outre, les dirigeants du nouveau pays encourageaient vivement les immigrants à abandonner les préjugés de leur pays d’origine, et aucun groupe religieux ne dominait la culture américaine. De plus, même si le sentiment antisémite existait, il n’était pas codifié dans les lois et les pratiques gouvernementales.

Tout ceci porte à croire que le public américain ‒ juif ou non ‒ ne s’intéressait pas aux problèmes que vivait The Jew. Au contraire, selon la théorie d’Eve Tavor Bannet, la popularité de la pièce aux États-Unis reposait sur le fait qu’elle était perçue comme un plaidoyer générique et réconfortant et comme une confirmation de la générosité et de la bienveillance envers tous les immigrants qui faisait partie d’une expérience « américaine » commune et partagée. Elle soutient que le désir de Cumberland d’exposer et d’améliorer la situation de nationalités malmenées comme les Irlandais, les Écossais et les Juifs n’était qu’un effet secondaire de l’objectif principal de son écriture dramatique : renforcer, maintenir et affirmer la domination de la culture anglaise. Cependant, les questions de domination culturelle n’étaient pas aussi importantes aux États-Unis à la suite de l’indépendance que celles de l’agitation, du chômage, de la pauvreté et du fossé grandissants entre les riches et les pauvres. Pour Eve Tavor Bannet, les immigrants américains de première génération, peu importe leur origine, se sont reconnus dans le personnage de Sheva de Cumberland et ils en ont tiré une certaine justification, lui qui était « … pauvre, un étranger… », mais incroyablement charitable, tout en évoluant dans une société peu familière, de plus en plus tendue et en pleine croissance. Les Américains ont également accueilli favorablement l’accent mis par Cumberland sur la validité universelle des principes juifs.

Malgré ces différentes perceptions des messages que The Jew véhiculait ou peut-être pour cette même raison, les nombreuses éditions imprimées, dont six à Londres, trois en Irlande et trois en Amérique, en plus des traductions allemandes et néerlandaises, témoignaient de sa pertinence continue. Tout au long du XIXsiècle, de nombreuses réimpressions ont été publiées en Grande-Bretagne et aux États-Unis et, en 1878, l’ouvrage a été traduit pour la première fois en hébreu.

À propos de l'auteur

Le dramaturge britannique Richard Cumberland (1731-1811) a reçu une éducation religieuse et érudite appropriée à sa naissance dans la résidence du maître du Trinity College de Cambridge. Son père, un ecclésiastique, est devenu évêque de Clonfert, puis évêque de Kilmore, tandis que sa mère, la fille d’un maître et adepte du classicisme du Trinity College, a inspiré au poète anglais John Byrom l’héroïne de son poème pastoral Cohn and Phoebe. Richard n’était pas le seul membre de la famille à avoir un talent littéraire : sa sœur cadette Mary est devenue davantage connue comme poétesse et essayiste sous le nom de Mary Alcock.

Cumberland a étudié à Bury St. Edmunds, puis à la Westminster School, où il a compté parmi ses pairs le poète et satiriste Charles Churchill et le poète et hymnographe William Cowper. Il a poursuivi ses études au Trinity College, bien qu’il y ait interrompu ses recherches postdoctorales pour servir de secrétaire particulier au comte de Halifax.

Si les drames qu’il dépeignait ont établi sa réputation, le très prolifique Cumberland a également composé plusieurs essais, une variété d’écrits chrétiens en prose et en vers, des articles pour une revue critique dont il a brièvement été l’éditeur en 1809, ainsi que ses mémoires. Il est l’auteur confirmé de 54 pièces de théâtre publiées et non publiées, dont près de la moitié sont des comédies. Dans ces écrits littéraires, Richard est devenu célèbre pour avoir remis en question les préjugés anglais sur les Écossais, les Irlandais et d’autres peuples colonisés. Il a essayé de faire valoir leurs bonnes qualités, tout en adhérant à une moralité stricte et à un patriotisme extrême. Parmi ses titres les plus connus, citons The Banishment of Cicero, The West-Indian, The Fashionable Lover ‒ qui met en scène Naphtali, le premier personnage juif de Cumberland ‒ et The Jew, particulièrement original dans sa présentation sympathique d’un personnage juif comme héros.

L'exemplaire de la BPJ

L’exemplaire de la sixième édition que possède notre bibliothèque a été imprimé à Londres en 1797. Composé de 64 feuilles, il mesure 21 x 13 x 1 cm et il est dans un état précaire. On ne sait pas s’il avait un plat avant et arrière à l’origine, notre exemplaire n’en ayant aucun, et les traces de colle le long du dos de la page titre indiquent qu’il n’a jamais été relié. La couture au dos se défait, et les trois premières feuilles sont détachées. Considérant que la première feuille est plus foncée que les autres, il est plausible de penser que le livre ait circulé sans couverture. La plupart des feuilles sont en mauvais état, le texte ayant considérablement pâli à de nombreux endroits. La dernière feuille, dont la teinte s’apparente à celle de la première, présente une grande déchirure le long d’un tiers du dos de dimensions semblables à celles d’une pièce d’un dollar canadien.

Cependant, si ce n’était de l’état physique des pages et de l’absence de reliure appropriée de l’ouvrage, on pourrait facilement confondre notre exemplaire avec n’importe quelle publication d’une œuvre dramatique du XXIsiècle : les marges sont de largeur habituelle et les lettres rappellent une police de caractère avec empattement de taille courante telle que Times New Roman 12. À la partie supérieure du verso de chaque page apparaît « THE JEW », et à la partie supérieure du recto, « A COMEDY ».

La page titre se lit comme suit : « The Jew: A Comedy. Performed at the Theatre Royal, Drury Lane. By Richard Cumberland, Esq. The sixth edition. London: Printed for C. Dilly, in the Poultry. M DEC XC VII ». Sous ce texte, un petit ornement semblant représenter une harpe à main et une trompette disposées en diagonale et bornées d’une feuille à la partie supérieure, peut-être une fougère, et d’une longue feuille le long du bas, indique à nouveau qu’il s’agit de la sixième édition.

À propos de l'imprimeur

Charles Dilly (1739-1807) est né à Southill (Angleterre) dans une famille dont les membres étaient considérés comme des yeomen, c’est-à-dire des fermiers-propriétaires de terres relativement riches, dont le statut social était légèrement inférieur à celui de l’aristocratie terrienne. On n’en sait guère plus sur la famille de Charles, si ce n’est qu’il doit finalement sa carrière d’imprimeur à son frère aîné Edward. Charles était allé brièvement en Amérique; à son retour, Edward l’a invité à se joindre à son entreprise d’impression et de vente de livres. Par la suite, leurs deux noms sont apparus sur les livres de l’imprimerie dont les auteurs étaient souvent des personnalités connues.

Les deux hommes ont également acquis la réputation d’organiser des repas littéraires très courus. Parmi leurs invités, dont bon nombre se souviennent de ces soirées dans leurs mémoires de l’époque, figuraient des auteurs renommés tels que Samuel Johnson et Joseph Priestley, le tristement célèbre politicien radical John Wilkes et Richard Cumberland, l’auteur de The Jew. Ces réceptions avaient lieu sur Poultry, une rue qui, non seulement se doit d’être mentionnée sur la page titre de la pièce The Jew, mais dont l’histoire même est aussi liée aux Juifs : jusqu’au XIXsiècle, une prison située à l’une de ses extrémités a compté autrefois une section juive, et à l’autre extrémité de Poultry se trouvait une zone connue sous l’appellation « Old Jewry » qui servait de ghetto. En 2001, des archéologues ont mis au jour à proximité un mikveh (bain rituel) datant d’avant l’expulsion des Juifs d’Angleterre en 1290.

Charles et Edward Dilly étaient considérés comme des éditeurs radicaux, Charles acquérant la plus grande notoriété des deux en tant que dissident ‒ un protestant qui se séparait de l’Église anglicane alors très largement dominante. Il était membre du Club of Honest Whigs, un groupe informel de philosophes et de libres penseurs dont Benjamin Franklin faisait partie, et il participait aux efforts de la Society for Constitutional Information pour la réforme parlementaire. Charles a fait état de sa non-conformité en tant que dissident pour refuser le poste de shérif de la Cité de Londres, et il a également évité de justesse une nomination similaire en tant qu’échevin local. Pendant tout ce temps, Charles est resté un imprimeur très respecté : après le décès d’Edward en 1779, il a poursuivi l’exploitation de la presse Dilly, et en 1803, il est devenu maître ou chef de la Stationer’s Company, la guilde des imprimeurs anglais. Il est mort quatre ans plus tard, lors d’une visite avec Richard Cumberland.

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