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Jewish Public Library

Korban Pesaḥ(Livourne : Salomon Belforte ṿe-ḥavro, 1837)

À propos de l'auteur

Né à Safed, le rabbin Hayyim Amram (vers 1759-1825), auteur de Korban Pesah, était issu d’une famille éminente d’érudits de la Torah. À sept ans, il s’est rendu à Damas pour étudier au bet midrash (centre d’études avancées de la Torah) de la riche famille Farhi, qui accueillait les meilleurs étudiants juifs de la ville. Au cours des quatre décennies suivantes, sa renommée dans le milieu intellectuel lui a permis d’en devenir le directeur, ainsi qu’enseignant et juge au bet din (tribunal rabbinique juif) de Damas. C’est au cours de ces années qu’il a rédigé la plupart de ses ouvrages et qu’il a acquis une grande maîtrise de la kabbale. En 1805, il est retourné à Safed et, après un bref séjour à Damas, il s’est ensuite installé à Alexandrie.

Son fils Natan (vers 1790-1870) a édité le Korban Pesah en vue de sa publication. Natan a étudié à la yeshiva Farhi et s’est installé à Safed en 1805 avec son père. Après la mort de son père, il a servi comme rabbin à Tibériade et à Hébron, où la révolte arabe de 1834 contre la domination ottomane a entraîné le massacre de Juifs. Natan a ensuite parcouru l’Europe afin de recueillir des fonds pour la communauté juive d’Hébron. Accusé d’avoir détourné les fonds, il a rédigé une brochure défendant ses activités, puis s’est installé à Livourne avant de se rendre finalement à Alexandrie en 1851, où il est devenu grand rabbin de la ville. À sa mort, il a eu droit à des funérailles nationales.

À propos de l'imprimeur

« Il suffit d’avoir eu la détermination. » À Livourne, au XXIsiècle, la devise de l’éditeur qui a publié notre exemplaire de ce livre reflète sans aucun doute l’histoire de la famille du même nom. 

Né à Livourne, Shlomeh Bilforte (1804-1869), généralement connu sous le nom de Salomon Belforte, était le fils de Joseph Belfort, un imprimeur qui avait financé sa propre publication d’un livre de prières pénitentielles en hébreu. Dès l’âge de 16 ans, Salomon a commencé à travailler avec les typographes de la société Tubiana de Livourne. Ils ont collaboré à la publication d’au moins quatre livres de prières pour la presse du rabbin Jacob Tubiana, où Salomon était du nombre des références. En 1834, il a lancé sa propre presse ‒ Belfort & Compagnia ‒ avec l’aide des frères Moïse et Israël Palagi. Ils ont acheté leurs polices de caractères de la fonderie Villa de Pise et installé deux presses à l’étage d’un palais livournais. Le permis initial de l’entreprise la limitait à imprimer uniquement des œuvres hébraïques, mais au bout de neuf ans, et après des requêtes répétées auprès des autorités, ils ont réussi à obtenir l’autorisation provisoire d’imprimer des œuvres en italien. Après deux ans, ce permis est devenu permanent, et trois autres années plus tard, la censure ecclésiastique a complètement cessé, libérant ainsi l’imprimeur et lui permettant de publier les ouvrages qu’il souhaitait. 

En 1845, le fils de Salomon, Giuseppe, s’est joint à l’entreprise. Maître d’école, possédant peu de formation en typographie, il a travaillé aux côtés de son père jusqu’à la mort de Salomon. Giuseppe a alors repris la presse et l’a rebaptisée Salomone Belfort & Compagnia. Le fils de Giuseppe, Giulio, a reproduit le modèle, changeant le nom de l’entreprise à nouveau; cependant, ce sont ses autres innovations qui ont véritablement permis à sa presse de dominer l’impression hébraïque pendant près d’un siècle, à partir des années 1880. 

Il a d’abord racheté la part des frères Palagi dans l’équipement de la presse et le fonds de livres; il a ensuite introduit l’impression en couleur et les arts graphiques, et après avoir voyagé en Allemagne pour apprendre l’impression stéréotypée, il a ouvert la première librairie de l’entreprise. Les publications en hébreu de la presse ont rapidement fait état de cette nouvelle initiative, leurs pages titre comprenant désormais la marque des imprimeurs et libraires « Madpisim u-mokhre sefarim ». En outre, la gamme des titres de Belforte s’élargissait : elle comprenait des manuels scolaires, des dictionnaires italo-allemands et des romans illustrés en noir et blanc ou en couleur. En 1899, Giulio a agrandi l’entreprise en ouvrant un magasin de livres et de papeterie qui abritait également l’un des premiers téléphones de Livourne.

Avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, les trois fils de Giulio ‒ Aldo Luigi, Gino et Guido ‒ travaillaient pour l’entreprise, mais ils ont été appelés au service militaire italien. Leur mère, Emma Castelli, a assuré temporairement la direction de l’entreprise en raison de la santé défaillante de Giulio. À la fin de la guerre, Aldo Luigi en a repris le contrôle général. Il a élargi l’offre de la librairie phare, organisant des rencontres avec des artistes et des intellectuels, vendant des titres étrangers en anglais et en français, et ajoutant à son inventaire des manuels de référence, des cartes et des globes terrestres. Il a également inauguré de nouveaux magasins à Lucques et Viareggio. Parallèlement, son frère Gino a développé une autre voie pour l’entreprise familiale en ouvrant l’une des premières galeries d’art italiennes en 1921. Quant à la presse de l’entreprise, leur frère Guido semblait le plus impliqué. Il en a modernisé le matériel d’impression et a poursuivi l’édition de publications sur le théâtre, la littérature, la religion et la culture hébraïque, ainsi que de livres scolaires et d’ouvrages pour enfants. 

En 1924, le conglomérat des Belforte a célébré son 90anniversaire en proposant un catalogue de ses publications en hébreu qui soulignait l’attrait mondial de ses livres de prières, recherchés par les marchands et les lecteurs d’Afrique du Nord, du Levant, d’Istanbul, d’Égypte, de l’Inde et des États-Unis. La presse imprimait également ces ouvrages en ladino, judéo-arabe, yiddish, judéo-italien et judéo-espagnol. Pour leur centenaire, les Belforte ont produit une magnifique publication qui leur a valu les éloges de la Confédération nationale fasciste de l’imprimerie, mais les circonstances ont rapidement pris une mauvaise tournure. 

Le roi d’Italie Victor-Emmanuel III et le premier ministre Benito Mussolini avaient conjointement proposé la candidature de Guido à un ordre national du mérite pour sa réussite commerciale. Cependant, en décembre 1938, le gouvernement de Mussolini a adopté des lois raciales qui ont obligé les Belforte à diviser leurs entreprises et à en céder le contrôle à plusieurs amis non juifs. Pourtant, Guido et Gino ont continué à produire des imprimés, ayant réussi à déplacer une presse malgré la confiscation du matériel de l’entreprise. Ils ont ouvert une librairie à Castiglioncello, où des employés et des amis non juifs les ont hébergés dans la campagne environnante. Malheureusement, à leur retour à Livourne après la Seconde Guerre mondiale, Guido et Gino ont découvert que leur librairie phare avait été bombardée et que les presses avaient disparu. Même si elles étaient restées intactes, le marché de leurs publications en hébreu s’est désintégré à la suite de l’émigration de nombreux Juifs italiens vers Israël. 

Néanmoins, les Belforte ne se sont pas découragés. Gino a supervisé l’impression du Telegrafo, ce qui comprenait le tirage quotidien de 200 000 exemplaires du journal Stars and Stripes des forces armées américaines pour les soldats basés en Italie. Après la mort de Guido en 1950, son fils et son gendre, ainsi que le fils et le gendre d’Aldo Luigi, ont repris le contrôle de la presse et des activités d’édition de la famille. Malheureusement, en 1961, ils ont fait faillite, ce qui les a contraints à vendre leurs caractères hébraïques et leurs droits d’auteur à un éditeur de Tel-Aviv.

En ce qui concerne la vente de livres, les Belforte avaient maintenu leur librairie du même nom en activité à différents endroits après la Seconde Guerre mondiale. En 1964, le bâtiment d’origine a été restauré et les Belforte y ont rouvert leurs portes avec un certain succès, profitant également d’une nouvelle marque d’imprimeur familiale qu’avait relancée le gendre d’Aldo Luigi. Si la librairie a définitivement fermé ses portes en 2017-2018, Salomon Belforte S.a.s. demeure une entité active. En 2019, la société publiait encore des livres en langue italienne sur l’histoire, la culture et les célébrités de Livourne, ainsi que sur la psychologie, la pédagogie, l’art contemporain et la linguistique.

L'exemplaire de la BPJ

Notre exemplaire de ce commentaire sur la Haggadah de Pessah (récit de la Pâque) a été imprimé en 1837 par Salomon Belforte. Un livre minuscule, comparé aux autres de notre collection, il ne mesure que 13,5 x 7,5 x 3 cm. La reliure en cuir brun semble être la reliure originale. Quatre lanières de cuir, ainsi que des coutures en ficelle, maintiennent le dos en place, bien que le haut et le bas soient entièrement exposés en raison de la dégradation du cuir. Par conséquent, elles ont été recousues avec du fil rouge et jaune. Un motif ornemental en forme de diamant est estampé dans le cuir des plats recto et verso, celui du recto étant en grande partie masqué par les dommages que le cuir a subis. Les bords des deux plats sont grandement décolorés et usés. 

En ouvrant le livre, la page titre déconcerte les attentes du lecteur par sa présentation inhabituelle : exiguë et dépourvue de décoration, elle reflète les dimensions miniatures de l’exemplaire. Le titre, qui figure dans la partie supérieure, ressemble beaucoup à un en-tête de page. Comme le reste du livre, il présente à la fois des caractères d’imprimerie Rashi et ashkénazes, l’écriture Rashi étant prédominante. L’intérieur du plat recto comporte les restes d’une plaque d’ex-libris, dont les couleurs sont en partie bleu et or. 

Sur la quatrième de couverture ‒ qui est en fait la première de couverture du livre, car le texte hébreu s’écrit de droite à gauche ‒ un propriétaire a apposé un autre ex-libris intéressant. De couleur verte vive, avec du texte arabe à la partie supérieure et du texte hébreu à la partie inférieure, l’écusson central indique en espagnol « Glassford y Cia – Gibraltar ». Une telle conception quadrilingue reflète de manière appropriée l’histoire de Gibraltar en tant que centre commercial des anglophones, des hispanophones, des juifs et des arabophones. Cependant, l’emplacement à la quatrième de couverture et l’orientation inversée suggèrent que le propriétaire du livre ne lisait pas l’hébreu ou qu’il ouvrait habituellement les livres de gauche à droite comme dans le cas des textes latins ou cyrilliques. 

Le propriétaire avait probablement été l’un des deux commerçants prospères natifs de Gibraltar au XIXsiècle. William Glassford et son fils du même nom étaient des descendants de John Glassford, le plus riche des « magnats du tabac » de Glasgow au XVIIIsiècle, dont l’empire commercial et maritime écossais s’étendait autrefois des champs de tabac de la Virginie aux rivages de Gibraltar.

Dans les années 1870, William père s’était retiré en Angleterre, tandis que son fils faisait partie de nombreux établissements commerciaux et organismes sociaux de Gibraltar, et dans certains cas à titre de président. William fils a notamment occupé le poste de vice-gouverneur de l’hôpital civil, représentant la population protestante. Des Juifs siégeaient également aux conseils d’administration de ces organisations ‒ en fait, ils représentaient alors un tiers des citoyens de Gibraltar. Ils constituaient également la majeure partie de la classe commerciale de Gibraltar. Il semble donc tout à fait possible que William fils ait obtenu ce livre d’une connaissance ou d’une relation d’affaires juive.

Malgré la désintégration du dos, les pages de notre exemplaire ne présentent que peu de dommages, hormis une importante décoloration. Les marges égales et uniformes, tout en étant réduites pour tenir compte des dimensions du livre, témoignent de la bonne qualité de l’impression. Près de 200 ans après la parution de notre exemplaire, la police de caractères reste claire et l’encre ne montre aucun signe de décoloration. Vers le milieu du livre, quelques sections présentent des dommages attribuables au ver bibliophage le long du dos, ce qui en explique peut-être la fragilité.

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